3 janvier 2012. Une date finalement importante dans l’histoire de l’interface hexagonale. Free, fournisseur d’accès à internet et de service tels que Télévision et Téléphone, a lancé, à sa manière, un pavé dans la marre du financement des réseaux du futur.
D’un coté, le blocage des publicités par défaut pour tous les freenautes équipés de la Freebox version 6 (« Révolution ») et de l’autre des mois de difficultés dans les négociations avec Google : y aurait-il une relation de cause à effet ? Ce serait naïf de ne pas le penser.
Pour ceux intéressés par la technique du AdBlock de Free, je vous recommande le billet de Stéphane Bortzmeyer. Pour ceux intéressés par l’aspect tuyauterie, le billet de Nicolas fourmille de détails.
Pourquoi nous en sommes arrivés là ?
Il y a de nombreux facteurs qui nous ont amené à cette situation. Les plus évidents sont :
- L’augmentation du traffic de la vidéo sur internet (Over The Top – OTT – à l’opposé des vidéos gérées par votre fournisseur d’accès) ;
- L’augmentation du nombre de périphériques qui se connectent dans chaque foyer : smartphones, tablettes, TV connectées et autres boitiers Set-Top-Box.
Mais ceux auxquels on pense moins :
- Chute du prix de la bande passante sur le marché (fournisseurs réseaux tier-1 et autres, Content Delivery Network) ;
- L’augmentation du trafic chez un opérateur consiste à mettre à niveau ses capacités en cœur de réseau mais aussi et surtout sur l’ensemble des brins qui mènent jusqu’à l’abonné ;
- Prix de l’abonnement constant et faible (comparé aux autres pays) chez les opérateurs français depuis l’arrivée de… Free. Souvenez vous de Netissimo !
Pourquoi Free, pourquoi Google ?
Les fournisseurs comme Orange et SFR sont engagés à travailler sur des voies d’optimisation de leur réseau pour satisfaire leurs abonnés et maintenir un service fluide, y compris sur les vidéos. Ce sont des chantiers importants car ils changent la façon de travailler entre les fournisseurs de contenus et les opéerateurs. La transition prendra des années.
Pourquoi Google ? propriétaire de YouTube, Google génère un trafic vidéo important. Contrairement à Apple qui génère du trafic par ses mises à jours de software et par de la vidéo payante, YouTube se finance majoritairement par les revenus publicitaires : plus il y a de consommation, donc de trafic, plus il y a de financement. Google est très probablement le plus gros consommateur de trafic chez un fournisseur d’accès Français aujourd’hui (ce n’est pas forcément le cas dans tous les pays).
Pourquoi Free ? Je l’ai signalé plus haut, SFR et Orange sont sur d’autres voies. Numéricâble, Bouygues Télécom et d’autres plus modestes ont moins de préoccupations immédiates car leur réseau est plus petit, voire délégué à d’autres opérateurs. La marque Free a toujours été de l’avant en terme d’innovation techniques (Triple-Play, chaîne TV à l’unité, lecteur Blu-Ray dans la box, etc.) mais aussi et surtout en terme d’idées.
Combien ça coûte ?
Les modèles sont complexes mais je rejoins parfaitement l’estimation faite par Octave Klaba d’OVH. Lui donne un surcoût de 15 centimes d’euros par abonnés (OVH peere avec les opérateurs français à hauteur de plusieurs ports de 10 Gigabits par secondes par opérateurs). Ceci pour la situationa actuelle. Comme il le souligne, chez Netflix, ce surcoût tuyauterie, c’est 2 à 3 euros outre-atlantique, soit un tiers du prix de l’abonnement Netflix.
D’un autre coté, l’ARCEP s’est lancé dans des modélisations de coût, mettant en avant l’amélioration substantielle du rapport performances/coût des équipements ce qui n’enlève rien que la gestion de la capacité chez un opérateur reste un centre de coût important.
Qui est responsable ?
Un peu tout le monde. Chacun tire la couverture de son coté mais il faut garder en tête qu’Internet est un bien commun propulsé par des sociétés privées avec des flux financiers :
- les abonnés payent leurs abonnement pour avoir un accès à internet ;
- les fournisseurs d’accès construisent leur réseau, l’optimise, gèrent les points d’interconnexion et la montée en capacité ;
- les éditeurs diffusent leur services (contenus) en rémunérant des intermédiaires techniques (Fournisseurs de Services Intermédiaires – FSI).
Et cela dépasse l’échelle nationale puisque Internet est sans frontière.
Qui doit combler le manque de financement ?
Dans d’autres pays, le coût de l’abonnement à Internet est bien plus élevé. Une piste serait de l’augmenter de façon à répartir le coût sur tous les abonnés ou segmenter à nouveau des offres par seuil de bande passante ou de données transférées chaque mois. Swisscom témoigne avoir réussi la ré-introduction de ce modèle avec succès.
Autre piste, faire payer plus ceux qui remplissent les tuyaux. Cela sous-entend faire payer plus les intermédiaires et reporter tout ou partie de cette hausse jusqu’aux éditeurs de services. Cela se traduirait là aussi par des augmentations tarifaires vers les utilisateurs soit via une intensification de la publicité soit une augmentation des revenus (abonnement mensuels à des services par ex.).
Et puis, la vraie crainte est dans le futur : comment trouver un modèle stable ? L’innovation est clé et le métier de gestionnaire de tuyaux devra évoluer.
Quelle(s) issue(s) pour lundi 7 janvier ?
L’ARCEP, en plus de l’enquête administrative en cours concernant les sous-performances de YouTube chez les freenautes, a envoyé un courrier à Free pour avoir des explications sur ce filtrage de la publicité par défaut. Ca ressemble au jeu du chat et de la souris tant le trublion est agile dans ses actions et le régulateur rigide du fait de sa stature. Néanmoins, il semble important de souligner que l’ARCEP est l’instance qui devrait avoir le plus de responsabilité dans ce conflit mais le tournant publicitaire mets le régulateur télécom dans une situation difficile.
Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique, a sollicité une réunion dont l’objet semble se focaliser sur le blocage publicitaire, donc les éditeurs de sites sont conviés, y compris Google. Il faut savoir qu’hormis les très gros éditeurs, peu d’entre eux sont sensibles aux problématiques de financement des réseaux car ils se repose sur des prestataires de services comme les hébergeurs et optionnellement des CDNs.
Donc peu d’espoir à titre personnel quant à l’issu du meeting de lundi, surtout si Free décide d’arrêter ce filtrage (ou l’activation par défaut car l’option reste intéressante pour certains utilisateurs). La démonstration de force aura été faite mais aucun des protagonistes ne repartira satisfait. Au mieux une obligation de trouver des solutions plus qu’à court terme, mais ça n’est-ce pas le travail de l’ARCEP ?
A lire aussi
- Les Echos : Free a ouvert une boîte de Pandore
- Ici même il y a six mois : De l’avenir de l’écosystème Internet Français
Je rappelle à toutes fins utiles que les opinions exprimées ici sont les miennes et non celle de mon employeur.
Crédit photo : Stéphanie Lespérance et pour l’anecdote, le chaton s’appelle Happy mais pas vraiment heureuse de son nouvel accoutrement.
Paul
Merci pour cet article qui éclaire bien ma lanterne. Cette affaire pour toutes personnes ne comprenant pas les mécanismes d’Internet semble un peu sombre, du moins dans ses raisons profondes. (Je ne croyais pas une seconde à Free proposant ce « service » à ses abonnés)
Est-ce que cela ne révèle pas aussi de la part de Free d’un manque de respect vis à vis des fournisseurs de contenus, autres que Google ? Imaginerions nous une seconde et dans un milieu que je connais mieux, que Free, Numéricable ou autres, se permettent d’occulter les écrans Pubs des chaines qu’ils transportent ? Quel scandal cela ferait !!