Mes récents échanges sur Twitter à propos de notre éco-système français de l’Internet m’ont prouvé, une nouvelle fois, que les sujets étaient complexes et souvent mal compris. S’exprimer sur ce sujet est d’autant plus difficile à coup de 140 caractères. Voici un premier billet qui tente de donner un point de vue un peu différent.
Les commentaires sont les bienvenus.
Nous consommons tous des données sur Internet. Ces données sont produites par d’autres usagers, à titre personnel (blog, forum, communautés) ou dans le cadre de leur profession. Pour mettre tout le monde en relation, il y a des réseaux connectés. L’essence même de l’internet. Ces réseaux sont plus ou moins importants, entretenus et améliorés par des acteurs comme les fournisseurs d’accès, de services, de contenus, de services de mise en relation. Tous ces acteurs échangent des données mais ce n’est pas là le plus important. Ces protagonistes de l’internet produisent de la valeur, contribuent à l’économie du réelle avec des services innovants, créent des emplois.
Cet écosystème évolue. Nous sommes de plus en plus à avoir un accès. Nous utilisons de plus en plus d’équipements différents pour se connecter. Autre point non négligeable, nous échangeons des données de plus en plus volumineuses, de plus en plus vite. Parce qu’une image vaut mieux qu’un long discours, disons que l’image ci-dessous est assez représentative, même si je la trouve pessimiste (la pente est souvent plus accentuée).
Et si on regarde de plus près ce qui transite, Cisco nous éclaire avec ce graphique illustrant les natures des contenus et leur pourcentage.
Je vais volontairement écourter le chapitre tuyauterie pour aborder un sujet finalement très peu abordé, le travail des entreprises qui font cet écosystème.
Les fournisseurs d’accès
Le premier maillon de la chaîne, c’est le fournisseur d’accès à Internet (FAI). La définition française est assez limitante et nos FAI sont plutôt des fournisseurs de services comme le reflète mieux la définition anglaise : Internet Service Provider (ISP).
Et oui, Internet n’est qu’un service parmi tant d’autres qui sont la télévisions, le téléphone, l’accès aux portails privés de vidéo à la demande, l’enregistreur numérique et plus récemment les services comme les jeux vidéos. La liste n’est pas complète, peu importe.
Il est important de comprendre que les fournisseurs d’accès construisent, entretiennent et font évoluer leur réseau pour soutenir chacun de ses services, Internet compris. Les abonnés paient un abonnement qui couvre ces frais et leur permet d’accéder à Internet selon les conditions commerciales et techniques propres à votre lieu de connexion.
Notre pays a fait décoller le haut débit avec l’ADSL qui a démarré avec des abonnements dissuasifs à plus de 60 € / mois pour atterrir à des prix plancher au dessous des 30 € mensuels. En 2011, les prix des abonnements ont réamorcé une hausse, principalement pour des raisons de rééquilibrage par rapport à la réglementation. Reste que le coût de l’accès en France reste particulièrement bas, comparé à nos voisins anglais ou allemands ou même outre-Atlantique.
Les éditeurs de services
A l’autre bout des tuyaux de l’Internet, nous avons les fournisseurs de contenus et éditeurs services au sens large. Ils sont nombreux, certains sont des entreprises 100% Internet, d’autres ne consacrent qu’une partie de leurs activités au réseau des réseaux.
Ces éditeurs ont souvent besoin d’entreprises intermédiaires pour parler directement aux utilisateurs d’Internet, ou mettre ces derniers en relation les un avec les autres. Parmi ceux que vous utilisez au quotidien on retrouve des poids lourds : Apple, Amazon, Facebook, Google, Microsoft, Skype, sans oublier nos champions nationaux (Dailymotion, Price Minister, Vente Privée).
Pour ceux que ça intéresse voici un des nombreux classements des sites web sur le territoire national.
Les intermédiaires
Souvent méconnus, ils sont indispensables à la mécanique du maillage de l’internet. Les intermédiaires aident les deux extrémités (clients des FAI et éditeurs & utilisateurs de services)
Que font-ils ?
Ces entreprises investissent en recherche et développement, déposent des brevets, contribuent à des projets open-source. Elles créent des services et des produits et les vendent.
Qui sont-ils ?
Ce sont les très grands opérateurs réseaux Internet (dits tier-1) et petits & moyens, les hébergeurs, les équipementiers, les éditeurs de solutions logicielles, les Content Delivery Network (CDN) et les fournisseurs de solutions type Cloud. Ainsi on peut remonter toute la chaîne en tentant de les catégoriser ainsi :
- Réseaux (tier-1) : Tata, Level3, Tinet… (voir liste complète sur Wikipedia) ;
- Autres réseaux : ceux des FAI biensûr, puis OVH, Google, Limelight, Dailymotion, Iguane ;
- Equipementiers : Cisco, Alcatel, EMC, F5 ;
- Hébergeurs : Jet Multimedia, Typhon, Online/Iliad Entreprise, OVH ;
- CDN/Cloud : Akamai, Amazon, Limelight ;
- Editeurs logiciels : Projets open-source, Adobe, Oracle, Microsoft, Google, Mozilla, Apple… ;
- OVP : Brightcove, Ooyala, Kit Digital, Kaltura.
La « gray area »
Le point le plus important, rarement mis en avant dans les rapports d’experts, c’est le fait que ces acteurs évoqués ci-dessus ont souvent plusieurs cordes à leur arc.
Les hébergeurs opèrent des réseaux pour leur propre besoin, les FAI font de l’hébergement pour rééquilibrer la symétrie de leur réseau, et inversement, les CDN/Cloud offrent des services équivalents aux équipementiers… Les exemples sont nombreux :
- Level 3 est un opérateur réseau «Tier-1» mais fait aussi du CDN ;
- Les plus gros FAI offrent un support pour les offres de vidéos à la demande et télévision de rattrapage ;
- OVH historiquement hébergeur français, s’est lancé depuis quelques mois en tant que FAI ;
- Microsoft, éditeurs de logiciel (Windows Server, Internet Explorer, serveur web IIS, Silverlight), s’est lancé dans le Cloud avec Azure ;
- Google pour ses immenses besoins a du opérer un réseau et explore la partie FAI aux États-Unis ;
- Orange, FAI, hébergeur et opérateur réseau, possède désormais une partie importante d’éditeurs comme Skyblog, Dailymotion ou Deezer ;
- Enfin, les FAI, fort de l’augmentation du trafic, cherchent à optimiser leur réseau avec des technologies issues des CDN/Cloud.
Chacun y va de ses propres innovations mais tous doivent dialoguer avec les standards de l’internet. Ces abbréviations techniques au doux nom de TCP, IP, BGP, HTTP, HTML…
Pour innover, les entreprises ont du inventer des nouvelles technologies, souvent propriétaires mais fonctionnant au dessus des protocoles standards. L’une d’entre elle est le Flash d’Adobe mais il en existe des milliers. Vous remarquerez qu’on s’éloigne des réseaux mais pourtant, tout est lié : le succès de ces inventions permet aux éditeurs de services de créer des services inédits, d’attirer les utilisateurs, et donc de monétiser.
Dans leur développement, les éditeurs de services ont toujours été la recherche d’utilisateurs, de clients, c’est pourquoi ils se sont toujours intéressés à la fois aux solutions fermées comme celles des fournisseurs d’accès ou ouvertes comme les plateformes « Online Video Plateform » (OVP). Les deux environnements cohabitent mais Internet de part son ADN en constante évolution offre un éventail de possibilité bien plus large, ce qui a fait les succès de Google, Apple ou Facebook. Du coté FAI, on affiche une optimisation technique et une maîtrise du réseau de bout en bout.
C’est quoi le problème ?
Je le disais en début de billet, le volume de données a augmenté considérablement. On oublie assez souvent que ce qui a motivé les nouveaux services consommateurs en ressources (la vidéo), c’est la chute vertigineuse des coûts de bande passante chez les intermédiaires. Ce segment très dynamique a vu apparaître des nouveaux arrivants dont un des arguments commerciaux s’articulaient surtout autour du coût.
Des offres ont pu naître et on a pu assister à l’explosion de portails comme Google/YouTube, Dailymotion, WAT et autres Vimeo. D’autres services ont rencontré le succès : les services de télévision de rattrapage (M6 replay, Pluzz). Dans ce tableau, il reste la vidéo à la demande est un marché compliqué en France, à fort potentiel, mais encore aujourd’hui très anecdotique en terme de consommation réseau.
L’avenir est encore incertain mais les services basés sur Internet se multiplient : services sur téléphone mobile et tablette, boîtier complémentaire à brancher sur la TV : GoogleTV et ses équivalents (AppleTV, Boxee, Roku, etc), sans oublier la montée en puissance des télévisions désormais connectées au réseau. Tout ce joli monde rentre en concurrence frontale avec les services offerts par les fournisseurs d’accès.
On en arrive aux sujets chauds du moment : qui doit financer ces augmentations de capacité ? arrive-t-on à une saturation des réseaux ? comment préserver la neutralité du net ? Tout est une question de stratégie chez les différents acteurs. Personne n’a intérêt à creuser un trop gros déséquilibre qui enrayerait la machine.
Certains appellent ça une pression, pour moi il s’agit plus d’un équilibrage permanent. Contrairement au mythe, l’Internet ne va pas saturer. Il a cette faculté à rebondir. S’il venait à saturer, les acteurs ci-dessous ne manqueraient pas de trouver des solutions. Et c’est ce qu’ils font par anticipation, depuis plus d’une décénie, en apprenant à se connaître, à explorer.
Il ne faut pas négliger l’essor qu’a pris les solutions alternatives aux offres légales, trop peu intéressantes par leur faible diversité. L’essor du «direct download» et des VPN bouscule clairement l’équilibre. Les FAI travaillent sur des solutions pour désengorger les gros volumes, donc la vidéo. Les fournisseurs de solutions les aident dans cette voie, et les éditeurs de services ont parfaitement compris contraintes des uns et des autres.
Tout ceci prend du temps et n’est pas uniquement un problème de réseau. Il est aussi question ici d’ingénierie logicielle car les grands éditeurs de contenus ont recours à des technologies Internet variés, complexes, qui ne se limitent pas à de la tuyauterie. Au quotidien, ils travaillent à la sécurisation de leurs contenus, au respect des ayants-droit, à la compatibilité avec un nombre grandissant de terminaux.
Le mot de la fin
Que conclure ? On reproche une certaine opacité des acteurs. Cela vient certainement d’une expérience malheureuse sur le domaine de la téléphonie mobile.
Sur le fixe, les acteurs sont beaucoup plus diversifiés. C’est une chance pour le consommateur final, un challenge pour ceux qui doivent s’entendre et travailler ensemble, soit directement, soit via des intermédiaires. Internet n’a pas de frontière, cela ne rend pas forcément le dialogue facile et les progrès visible peuvent prendre plusieurs mois voire années. La diffusion de contenus et de services n’est pas une commodité, elle ne se limite pas au réseau, c’est un métier où l’aspect logiciel reste très important.
Tous ces acteurs n’ont qu’un seul et même objectif qu’il ne faut pas perdre de vue : satisfaire leur client, et – pour ceux à but commercial – faire du profit. Rien que pour cela, aucun ne se désintéressera du consommateur final.
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Quelques liens
- Blog de Pascal Lechevallier, anciennement à la tête de TF1 Vision
- Blog d’Edouard Barreiro, docteur en économie
- Blog de Benoît Tabaka, sur un terrain plus lobbyiste éditeurs
- Dossier Net Neutralité sur le site de l’ARCEP
- Le rapport trimestriel « State of The Internet », un bon aperçu global de ce qui se passe sur le réseau
- Etude en anglais : Internet Traffic and Content Consolidation par Craig Labovit d’Arbor Networks
- A suivre sur Twitter de @lauredlr, @btabaka, @ZaraA, @nkgl, @rmaunier, @ED_BARR, @Turblog, @edasfr, @MissionTVco, @christianpaul58
Remerciements
Je tiens à remercier Raphaël Maunier pour son coup de main à la rédaction de l’article. Vous retrouverez des analyses « de terrain » sur son blog.
Maman Marmotte
Très bon article, comme vous dites que se soit par profit ou pour satisfaire le client, il y a des gens qui travaillent à ce qu’il n’y ait pas de saturation, si en plus on en vient aux factures sur internet pour éviter le papier, et la presse également ne se fait presque plus sur papier, en effet ça va en faire des données :) peut être moins volumineuses que les vidéos mais tout de même en grande quantité.
MM.
jef
Quelque peu frustant cet article, on a l’impression de ne pas aller au bout… On reste – fort intelligemment, heureusement – en surface…
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